Radio communautaire acadienne
par Bryar, Roland et Ouellette, Roger
Les radios communautaires acadiennes trônent en tête des intentions d’écoute de la majorité des Acadiens des provinces atlantiques du Canada. Ce mouvement de prise en charge par la population d’un outil de communication de masse a débuté dans la péninsule acadienne au milieu des années 1980 avant de se répandre rapidement aux quatre coins du Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve et Labrador. Étant assumée par les membres des communautés qu’elle dessert, la gouvernance de ces corporations assure que les goûts et les intérêts de celles-ci sont reflétés sur les ondes d’où leur succès populaire.
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Un média d’épanouissement culturel
Pendant longtemps, la majorité des francophones du sud-est du
Nouveau-Brunswick n’ont eu d’autre choix que de se tourner vers la radio
anglophone. Au début des années 1980. l’arrivée de la radio communautaire francophone
a mobilisé la communauté, témoignant de toutes ses couleurs, de tous ses
attachements et de tous ses isolements. Elle a exercé une incidence directe sur
le quotidien des auditeurs francophones, comme l’a bien montré Stéphane Guitard
dans une thèse déposée à l’Université de Moncton en 2003. L’auteur y souligne
les efforts de francisation ou de refrancisation des populations du nord-est et
du sud-est de la province, concluant d’ailleurs que « la radio communautaire constitue un endroit privilégié
où les détenteurs d’une langue dite « illégitime » peuvent s’exprimer
et nous avons compris comment la radio communautaire acadienne a agi sur les
attitudes des auditeurs à l’égard de leur langue et de leur culture. […] Ainsi,
la radio communautaire aura agi sur la réalité sociolinguistique de ses
auditeurs » (Guitard, p. 98).
À l’heure actuelle, les radios communautaires acadiennes sont réparties au Nouveau-Brunswick (10 stations en opération et une station en implantation), en Nouvelle-Écosse (4 stations en opération) et à Terre-Neuve et Labrador (une station en opération.) Il existe un projet de radio en implantation à l’Île-du-Prince-Édouard (2012.) Toutes les stations en opération ont pour mission le développement et l’épanouissement des communautés acadiennes et francophones qu’elles desservent. Elles mettent en place et exploitent une programmation radiophonique et des activités de financement qui sont gérées par une équipe composée de personnel rémunéré et de personnel de personnel bénévole. Le personnel bénévole demeure au centre de la mission de toutes les stations car il permet aux membres la communauté de s’impliquer aux niveaux de la gouvernance et de l’animation des antennes. En plus de pouvoir compter sur des équipes locales, les radios communautaires ont aussi fondé des organismes, tant au niveau provincial, régional que national, qui leur permettent d’atteindre leurs objectifs.
C’est donc dire qu’en quelques décennies à peine, la radio communautaire est devenue un instrument de refrancisation… l’un des seuls au Canada. Et ce n’est pas tout : en devenant de plus en plus populaire, la radio communautaire a appris au grand public à s’exprimer. Cette adaptation permet à une multitude d’associations et de regroupement spécialisés de passer des messages qui sont entendus et compris de tous. Même dans des produits radiophoniques publicitaires, le rôle de la radio communautaire a un effet positif dans la valorisation des communautés desservies… et on ne parle pas encore du lieu sacré culturel acadien : la musique!
La radio, de l’Acadie historique à l’Acadie contemporaine
De 1604 à 1755, l’Acadie s’est développée dans l’actuelle Nouvelle-Écosse. L’un des seuls peuples à vivre en harmonie avec les premières nations, les habitants de l’Acadie ont développé leur propre culture en plus de perpétuer les coutumes emmenées des vieux pays. Après le « Grand Dérangement » (1755-1763) les Acadiens ont progressivement fondé des villages. Ils ont apporté avec eux leurs coutumes et leur culture unique. Il faut attendre à la fin du 19e siècle pour qu’ils forment des associations qui voient à leur développement.
Dans les années 1970, après plus de trois siècles d’histoire mouvementée et de mise en place d’associations valorisant ses coutumes et sa culture unique, l’Acadie se modernise et accentue ses structures associatives dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’économie, des arts et de la culture et des questions sociales et politiques. À la fin de la décennie, dans le domaine des communications radiophoniques, l’auditoire francophone est desservi par la radio de Radio-Canada-Atlantique et par des stations privées (CJEM, Nord-Ouest du Nouveau-Brunswick et CJVA, Péninsule Acadienne au Nouveau-Brunswick.)
En 1982, la station de campus CKUM obtient une licence qui lui permet de passer d’une station en circuit fermé à une station de campus à vocation communautaire. Pour sa part, CKRO, Radio Péninsule obtient une licence au milieu des années 1980. C’est le point de départ de la création et de la mise en ondes de tout un réseau de stations communautaires à l’échelle de la province.
Structure et organisation des radios communautaires
Si toutes les stations radiophoniques acadiennes répondent aux standards de l’industrie en ce qui concerne les installations techniques (tour, antenne, émetteur) on peut cependant les classer en trois catégories. Il y a d’abord les radios régionales : celles-ci représentent une région composée de plusieurs villes et villages, sont de moyenne ou de grande taille et comptent de 10 à 20 employés. Ensuite, on retrouve les radios urbaines dans des milieux dits «doublement minoritaires» (c’est-à-dire minoritaires dans leur province et dans leur zone de desserte) : habituellement de petite taille, ces stations sont situées dans un centre scolaire communautaire et sont opérées par une à trois personnes. Enfin, il y a les petites radios qui desservent une région isolée ou qui sont une station de campus à vocation communautaire.
Toutes les corporations de radio communautaires font partie de l’Alliance des radios communautaires (ARC) du Canada, où elles forment deux zones, soit la zone Nouveau-Brunswick, représentée par l’Association des radios communautaires acadiennes du Nouveau-Brunswick (ARCANB), et la zone Atlantique, représentée par l’Association des radios communautaires de l’Atlantique (ARCA).
Ces deux zones profitent de services regroupés de l’ARC du Canada, dont une représentation auprès des autorités fédérales, un service d’échange d’émissions radiophoniques, un service aux radios en implantation et un service de ventes de publicités nationales. De plus, les zones reçoivent du financement de l’ARC du Canada pour assurer les opérations de proximité.
Les zones offrent aussi des services directement à leurs membres. À titre d’exemple, l’ARCANB a mis sur pied une « Maison de service. » Elle peut ainsi travailler avec les radios et avec les partenaires provinciaux pour le développement d’un réseau de nouvelles, un service de représentation de ventes et de création publicitaire et un service de Palmarès acadiens (l’un country et l’autre pop-rock.) Ces activités visent à améliorer la capacité des radios de toujours mieux desservir leurs auditoires.
C’est aussi l’ARC du Canada qui représente les stations sur le plan international. En effet, elle est membre de l’Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires (AMARC). En raison de son patrimoine acadien, l’ARCANB peut aussi être présente sur la scène internationale. Elle maintient en outre des relations avec d’autres associations provinciales canadiennes, dont le Mouvement des intervenants et des intervenantes en Communication Radio de l’Ontario (MICRO) et l’Association des radiodiffuseurs communautaires du Québec (ARCQ). Il se dégage de ces rencontres un désir commun des différentes radios communautaires de participer activement au développement et à l’épanouissement de leurs communautés respectives. Toutes ces activités contribuent à briser l’isolement entre les communautés francophones et acadiennes et à faire rayonner leur expertise en matière de communication de masse.
Financer la radio communautaire
Au Canada et dans les provinces qui possèdent une politique à cet effet (comme c’est le cas au Nouveau-Brunswick), la mise en opération des stations communautaires qui reçoivent une licence de diffusion est financée par le ministère du Patrimoine canadien. Cependant, une fois en opération, le financement des radios communautaires vient principalement de deux sources, soit la vente de publicités et les activités de levée de fonds. Les revenus varient d’une station à l’autre; celles qui évoluent dans un milieu à forte densité démographique et à proximité des centres urbains étant souvent les plus importantes en termes de revenus financiers. Les stations reçoivent aussi de l’aide de leurs représentants national et provincial.
Les efforts couplés de représentation publicitaire de l’ARC du Canada, de l’ARCANB et de l’ARCA aident les stations à bénéficier de revenus publicitaires qui sont générés par leurs représentants provinciaux et même nationaux, en plus des revenus générés par leur service de vente local. Le Fonds canadien de la radio communautaire permet en outre à toutes les stations de déposer des projets de développement qui contribuent à en soutenir les activités, en plus de les aider à répondre aux exigences émises par le Conseil de radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), l’organisme qui octroie les licences d’exploitation radiophonique au Canada.
Radios communautaires, patrimoine et identité acadienne
Sur le plan musical, la mise en place d’un palmarès acadien pop-rock et d’un palmarès acadien country ont indéniable un effet promoteur. Toutes les nouveautés musicales acadiennes de ces catégories passent par ces palmarès, qui sont ni plus ni moins que des baromètres de la popularité de ces artistes sur les ondes. Cet engagement dans la professionnalisation de l’industrie acadienne de l’enregistrement sonore a marqué le coup d’envoi de cette grande aventure culturelle, jusque-là confinée aux cuisines ou lors des grands rassemblements nationaux. De un ou deux albums de musique acadienne sortis annuellement, nous en comptons aujourd’hui plus d’une centaine. Cette variété traduit bien les couleurs musicales de toute une diaspora en quête d’une identité moderne avec de solides bases patrimoniales.
Seul outil de refrancisation canadien, la radio communautaire a su rassembler les forces vives de l’Acadie moderne. Sa popularité tient au fait qu’elle est sagement gouvernée par les mêmes gens ordinaires qui y ont vu un moyen de briser l’isolement entre les villes, les villages, les régions et les provinces où les Acadiennes et les Acadiens se sont installés après le Grand Dérangement. En célébrant au quotidien sa différence et ses variations aux niveaux des œuvres musicales, du français parlé et de son histoire, la radio communautaire acadienne est le média de masse le plus écouté chez les francophones des provinces maritimes. D’abord créée dans le but de conserver le patrimoine acadien, elle est devenue l’heureux symbole de la résilience et surtout de la créativité et de la diversité d’une culture laissée à elle-même pendant des siècles. Faute de délimitation géographique précise, elle demeure toujours un pays dans le cœur et dans le quotidien des Acadiens : la radio communautaire est à la fois témoin et promotrice de leur vision de l’univers.
Roger Ouellette
Professeur titulaire, département de science politique
de l’Université de Moncton et ancien président de l’ARCANB et de l’ARC du
Canada
Roland Bryar
Directeur général de l’ARCANB (association des radios
communautaires acadiennes du Nouveau-Brunswick)
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Photos
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Donatien Gaudet, homm
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L'animateur Claude Bo
ssé lors de la ... -
Logo actuel de l'ARCA
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Palmarès acadien de l
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Bibliographie
ARCANB : www.arcanb.ca
ARC du Canada- RFA : www.radiorfa.com/
ARCQ : www.arcq.qc.ca/
AMARC : www.amarc.org/index.php?p=home&l=FR
MICRO : microontario.ca/index.php?option=com_content&task...id...
CRTC : www.crtc.gc.ca/
Patrimoine canadien : www.pch.gc.ca/fra/1266037002102/1265993639778
Gouvernement du Nouveau-Brunswick : www2.gnb.ca/content/gnb/fr.html
Stéphane Guitard, Une analyse comparative des politiques linguistiques de deux radios communautaires francophones du Nouveau-Brunswick, thèse de maîtrise ès arts en français, Moncton, Université de Moncton, 2003.